Entretien avec Jean-Michel Ferragatti, directeur fiscal Siemens France

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Pourriez-vous décrire votre parcours professionnel et ce que vous a apporté le Master 221 dans ce cadre là ?

J’ai débuté comme fiscaliste en tant que stagiaire chez Total Raffinage Distribution qui était la plus grande filiale du groupe à l’époque puisque le Directeur de cette filiale, enseignant au Master 221, prenait un stagiaire du Master tous les ans. En effet, il y a beaucoup d’intervenants professionnels au sein du Master 221.

Ce que le Master m’a apporté c’est une vision très professionnelle, assez peu théorique comme un DEA que je faisais en parallèle. Lorsque je suis arrivé en entreprise, cela m’a vraiment été utile. Cela étant, même si on avait beaucoup de cours avec des professionnels, on en avait également beaucoup avec des enseignants et des avocats qui nous permettaient d’acquérir de bonnes bases théoriques, notamment en TVA. Le Master était donc orienté entreprise mais sans oublier l’enseignement des importantes bases techniques. Il permettait d’avoir des professionnels en tant qu’enseignants et avait une bonne réputation.

Je suis resté 18 mois chez Total, d’abord en stage puis en CDD, après je suis parti à la BNP pendant un peu moins de 2 ans, ensuite j’ai travaillé pour le Crédit Lyonnais pendant 1, 5 ans et puis je suis partie chez BIC, la société qui fait les rasoirs, les briquets et les stylos, où j’ai été responsable fiscal France pendant 3 ans. A la BNP ainsi qu’au Crédit Lyonnais, l’enseignement en matière de TVA du Master 221, avec une vraie expertise, m’a été très utile, sans oublier les enseignements en matière de fiscalité internationale et en contentieux avec Maître Prest (qui enseigne toujours au sein du Master, ndlr). Après les 3 ans chez BIC, j’ai exercé pendant 8 ans en tant que Directeur fiscal monde chez CONNEX, qui est devenu Veolia Transport. Que ce soit chez BIC ou chez Veolia, j’ai repris soit des stagiaires, soit des collaborateurs issus du Master 221. Suite à cette expérience, j’ai travaillé pendant 2 ans chez RATP Dev, filiale privée de la RATP, et depuis 3 ans maintenant, je suis chez Siemens.

Êtes-vous épanoui dans votre situation professionnelle actuelle ? Quels sont, pour vous, les facteurs clés de l’épanouissement professionnel ?

Oui je suis en effet plutôt épanoui. A mon sens, l’entreprise y est pour beaucoup. J’ai découvert un groupe, en termes opérationnels, extrêmement diversifié ce qui est très intéressant. Un groupe qui est également très bien organisé, avec une culture anglo-saxonne-allemande que j’ai découvert comme étant fort dépassionné, dans la mesure où il y a rarement des conflits et lorsque des désaccords interviennent, ils sont tranchés par la hiérarchie. Les relations avec les collègues sont donc très apaisées, ce qui contribue à mon sens fortement à l’épanouissement professionnel. Il s’agit aussi d’une société au sein de laquelle la fiscalité est extrêmement importante en termes de compliance et de process. On est une grande équipe, à savoir 9 personnes pour 2,5 Mrds de chiffre d’affaires en France.

Puis on est une grande communauté fiscale de 500 fiscalistes au sein du groupe Siemens. Notre métier est donc très bien vu et on peut l’exercer dans de bonnes conditions.

Qu’est-ce qui vous intéresse dans la fiscalité en entreprise au quotidien ? Comment cet intérêt a-t-il évolué au fil des années ?

Je suis venu à fiscalité car je trouvais que c’est une matière intellectuellement intéressante qui permet une latitude de jugement en ce que la situation est rarement blanche ou noire : Ce « jeu du gendarme et du voleur » était important pour moi, le fait de trouver la règle ou l’exception que l’on voulait. Il s’agit d’un métier technique et dynamique, ce qui m’intéressait également beaucoup : le métier change régulièrement, il faut se tenir informé et ne pas se reposer sur ses acquis, ce qui induit une agilité intellectuelle qui me paraît importante.

Ce qui est également intéressant dans la fiscalité en entreprise au quotidien, c’est que l’on côtoie énormément de gens et de fonctions différentes. En effet, la fiscalité impacte quasiment toutes les décisions de l’entreprise : l’appel peut venir aussi bien du Directeur Général que du vendeur qui souhaite savoir si la vente se fait ou non hors taxes. Le métier du fiscaliste d’entreprise est donc caractérisé par beaucoup de contacts diversifiés dans la vie quotidienne de l’entreprise.

Après, bien entendu au fur et à mesure de l’évolution du métier, il ne ressemble plus tellement à ce que j’ai connu quand j’ai débuté.

Quelle évolution a connu le métier de fiscaliste d’entreprise ?

En effet, au départ on était considérés comme étant une sorte de « gardien du temple », vérifiant que les impôts étaient bien calculés et défendant cette position en cas de contrôle fiscal. Aujourd’hui on demande plutôt de la sécurisation en amont, alors que quand j’ai commencé c’étaient les comptables qui faisaient les liasses. Maintenant on commence à internaliser les liasses. Avant, quand on parlait d’ERP ou de systèmes d’information, il y avait encore beaucoup de choses qui se faisaient manuellement. Le métier a connu des changements techniques pour le Business Intelligence etcetera qui font que l’Administration est désormais capable de s’équiper de systèmes très intrusifs par rapport au système d’information de l’entreprise. Et puis il y a eu un réel changement quant aux branches de la fiscalité sur lesquelles on travaille. Avant on utilisait rarement les prix de transfert, on ne regardait pas du tout les impôts différés. Le métier s’est orienté plus vers l’anglo-saxonne, axé sur du reporting, de la compliance, de la gestion de risque…Alors que au départ on était des « super comptables » qui étaient également capables de faire du droit et qui étaient pointus en matière de contentieux.

Quelle est l’évolution de la carrière du fiscaliste d’entreprise ?

Et puis dans le cadre de l’évolution de carrière, à un moment on se dirige plutôt vers des postes de Management. Je reste encore un technicien en ce que j’essaie de coller à la matière, mais ma vraie valeur ajoutée est de faire en sorte que l’équipe fonctionne bien, que les collaborateurs soient solidaires entre eux, que les plans de succession et de récupération existent, c’est à dire que si quelqu’un n’est pas là, quelqu’un d’autre est capable de prendre le relais. L’intérêt est donc plutôt dans la constitution et l’évolution de l’équipe, même si l’aspect technique reste important.

La vie d’un fiscaliste en un mot ?

Trépidante.

Qu’est ce qui vous donne encore envie de vous investir dans le master ?

J’aime bien le contact avec les étudiants, déjà parce que cela me rappelle ma jeunesse. Je suis assez investi à la fois dans le Master 221 et dans l’Association des fiscalistes d’entreprise que j’ai crée avec des amis : on se rappelle comment on a débuté et on essaie de faire passer messages, d’être disponibles pour les jeunes qui arrivent, de leur donner un peu notre vision du métier qui est en train de changer. C’est du partage. Et puis je me rappelle que des professionnels sont venus « perdre leur temps » avec nous, en tout cas passer du temps avec nous donc et donc cela me paraît normal de rendre ce que l’on m’avait donné. Ah et aussi j’aime bien toujours la fac.

Si vous deviez résumer le Master en 3 points ?

A mon époque (et encore aujourd’hui, ndlr) c’était la parité (il y avait autant de filles que de garçons, autant de financiers que de juristes), la diversité (nous les étudiants et puis les divers profs) et… c’était assez joyeux, je pense que c’est toujours le cas.

Un/des conseil/s aux « petits jeunes » ?

Il ne faut vraiment pas s’arrêter à ce qui est enseigné à la fac en général et dans le Master en particulier. Dans une entreprise, la réalité est très différente de ce que l’on vous apprend, y compris techniquement. Souvent, le temps que l’université réagisse, le changement dans la profession a déjà eu lieu depuis longtemps. Je songe par exemple aux impôts différés, certaines règles de prix de transfert etc. De temps en temps, vous êtes assez mal préparés à ces sujets. Avec internet, Linkedin etc. on a désormais la chance, de pouvoir approcher assez facilement des Responsables et Directeurs fiscaux : il faut aller parler à ces gens pour que vous puissiez vous projeter un peu mieux dans ce métier. Notre métier changera encore et encore. Il ne faut pas attendre à être confronté à des nouvelles problématiques – il faut les confronter et notamment en allant au delà des enseignements.

Parlez-moi de votre passion extra-fiscale : la BD !

Il s’agit d’une matière très intéressante et, bizarrement, quelque peu proche de fiscalité à mes yeux. J’étudie la BD américaine et deux aspects font écho avec fiscaliste que je suis : la BD de super héros américaine est un univers complexe, avec des liaisons qui font qu’il faut comprendre la globalité, on ne peut pas lire qu’une série si l’on veut comprendre pourquoi tout à coup il se passe tel ou tel événement. Au début de ma carrière dans la fiscalité, je partais toujours du texte et j’essayais de trouver toutes les références dans celui-ci et ainsi de suite… la vie et l’univers des super héros c’est tout aussi infini.

Et puis l’histoire de la création des personnages, très souvent, a un aspect juridico-financier, des fois même fiscal : certaines décisions en ce qui concerne les BD ont été prises pour des raisons fiscales ! J’ai un petit exemple en tête. A un moment, la BD de super-héros ne marchait plus très bien, par conséquent beaucoup d’éditeurs ont décidé d’arrêter. Le plus grand des éditeurs de l’époque, qui publiait Superman et Batman, a décide de réorienter ses publications vers des thèmes plus à la mode, comme par exemple le Western, la guerre, le fantastique etc.

Cela a été un vrai traumatisme pour les fans. Des années après, ils ont pris conscience de ce que certains des personnages arrêtés, certes, se vendaient moins bien, mais ne perdaient pas vraiment d’argent. Ils se sont donc demandés pourquoi ces personnages n’ont pas été continués et ils se sont rendus compte que, à part la réorientation vers des activités plus lucratives, il y avait eu aussi une raison fiscale à la décision des éditeurs. En effet, selon la législation fiscale américaine à l’époque, alors qu’on produisait les BD en avance, on ne pouvait pas passer les dépenses en charges tant que l’on ne publiait pas, sauf en cas d’arrêt de production qui permettait de déduire fiscalement la totalité des charges. Par ailleurs, voilà la raison pour laquelle on trouve encore sur certains BD un tampon avec une section de l’IRS, comme quoi la BD est « worthless » et qu’on a procédé à la déduction fiscale.

Un autre exemple : l’éditeur Marvel publiait sous cinq ou six sociétés différentes. Il y avait une raison fiscale à cela car il y avait des taux réservés aux petites sociétés. Il scionnait donc son chiffre d’affaires pour profiter de ce taux plus favorable…

Au bout d’un moment à étudier tout cela, j’ai eu l’idée d’en faire un livre, avec des personnages que j’ai réutilisés, divers scénarios et puis voilà.

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