Entretien avec Christophe Bonnabry, responsable fiscalité groupe Société Générale

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Pouvez-vous nous décrire votre formation et votre parcours professionnel ? 

Mon parcours est plutôt simple à suivre : j’ai réalisé tout mon cursus universitaire à Dauphine, et j’ai intégré le DESS 221 (promo 1994-95) … j’ai donc été diplômé en 1995.

J’ai ensuite fait mon service militaire à l’issue de mon diplôme, puisque je faisais partie des dernières générations à être appelées. A mon retour, j’ai enchaîné sur un stage de 6 mois à la Direction Fiscale de la Caisse des Dépôts et Consignations.

Enfin, je suis recruté par la Société Générale que je rejoins le 1er septembre 1997, et cela fait maintenant dix-neuf ans que je suis dans cette société.

Etes-vous resté tout au long de votre carrière au sein de la Société Générale ?

Exactement. Ce sont des cas qui sont maintenant quelque peu atypiques. Bien sûr, j’ai évolué dans les postes que j’ai occupés…au sein de la même Direction.

Quel poste exercez-vous aujourd’hui ?

Je suis responsable de l’une des cinq équipes de la Direction Fiscale Siège qui couvre principalement la fiscalité du groupe en France – « Corporate Tax transversal ». Il faut savoir qu’une des spécificités de la Société Générale, c’est que la Direction Fiscale est très centralisée à Paris. Nous sommes quasiment 50 fiscalistes au Siège, la Société Générale étant basée sur un modèle de Banque universelle.

Nous couvrons ainsi la fiscalité de la banque d’investissement, la fiscalité de la banque de détail en France et hors de France, la gestion des impôts locaux et des risques opérationnels, ainsi que la fiscalité patrimoniale et des personnes physiques –

Pour ma part, j’ai en charge l’équipe attachée à la fiscalité transversale. Nous nous occupons de la supervision fiscale de Société Générale Personne Morale, ce qui implique que nous travaillons avec toutes les autres équipes de la Direction Fiscale, en raison des nombreux retraitements fiscaux à effectuer issus des opérations et des activités des différents métiers de la banque.

Nous avons également la responsabilité de l’intégration fiscale. Nous assurons donc le pilotage et la gestion fiscale du groupe en lien avec la Direction Financière du Groupe. Enfin, les prix de transferts et l’expertise TVA du groupe sont rattachés à mon équipe.

Vous n’avez pas occupé le même poste au cours de vos dix-neuf années. Quelles étaient vos missions précédentes ?

J’ai commencé sur un poste relatif à l’intégration fiscale : je supervisais un portefeuille de sociétés du groupe. J’ai ainsi travaillé sur la détermination et la validation du résultat fiscal des filiales appartenant au groupe d’intégration, impliquant également les opérations et les retraitements de l’intégration fiscale.

J’ai également, développé une expertise en TVA, qui m’a amené pendant quatre ans à ne pratiquer que cette matière en prenant la responsabilité normative de la taxe au niveau du Groupe.

Enfin, j’ai eu l’opportunité de prendre la responsabilité de l’équipe transversale composée de quatre fiscalistes sur la partie corporate et de six personnes sur la partie prix de transfert. 

De manière générale, les fiscalistes de la Société Générale restent-ils longtemps à la Société Générale ?

Il n’y a pas un turn-over important à la Société Générale, car nous avons de la chance, c’est dans l’ADN de la maison, d’avoir une richesse et une grande qualité de dossiers. Cela provient du modèle de banque universelle de la Société Générale. Nous sommes en plus implantés à travers le monde, ce qui enrichit les dossiers. Nous avons beaucoup d’autonomie et une expertise reconnue, ce qui explique le faible turn-over au sein des équipes.

N’avez-vous jamais voulu exercer en tant qu’avocat fiscaliste ?

Non, jamais. Mais certains au sein de la Direction Fiscale viennent du monde des avocats pour rejoindre le monde de la banque. C’est vraiment propre à chacun, c’est peut-être une question de discours par rapport au Master ou de générations…

Dans le DESS en 1994-95, nous étions une promo où 40% venait de la branche juridique, 40% de la branche finance, et les 20% restant plutôt Ecole de Commerce, mais les intervenants et les professeurs ne nous tenaient pas forcément un discours qui nous poussait à devenir avocats.

Selon moi, même si nous avons des bases techniques communes, le métier d’avocat et de fiscaliste d’entreprise s’exerce de manière différente.

Le métier d’avocat ne convient pas forcément à tout le monde. Cela ne veut pas dire qu’en venant de cabinet, tu ne peux pas être bon fiscaliste d’entreprise, mais cela ne veut pas dire que, parce que tu viens de cabinet d’avocat, tu vas être un bon fiscaliste ou pouvoir t’intégrer facilement dans une organisation et une culture différente. De même, tu peux être un bon fiscaliste d’entreprise sans avoir exercé en cabinet.

Après, c’est très personnel : j’ai fait mon stage en cabinet et j’ai compris que ce n’était pas mon « truc ». Cela dépend de beaucoup de choses, notamment de l’expérience de chacun, et même s’il ne faut pas se cacher que les niveaux de rémunérations n’ont rien à voir, tout dépend de ses motivations et de ce que l’on recherche.

Quelles sont les principales différences, selon vous, entre le métier d’avocat et de fiscaliste d’entreprise ?

Souvent, en cabinet d’avocats, vous restez sur de la théorie, sur des notes de principe – pertinentes et très poussées – mais vous ne verrez pas comment elles sont mises en œuvre chez le client. Il manquera à l’avocat l’étape de la mise en pratique in fine, ce qui peut être frustrant pour le praticien.

En Entreprise et dans la banque, nous sommes peut-être plus portés sur de la fiscalité opérationnelle :  cela peut plaire à certain, mais pas forcément à tous. Ce qui est très intéressant, c’est que nous avons un rôle très central, transversal, pivot : vous voyez les produits, les structures, les opérations clientèles ou pour compte propre. Vous travaillez avec les directions juridiques et financières, les métiers, les opérationnels, les systèmes d’information, et vous avez vraiment une vision très globale des sujets, vision que vous n’avez pas forcément en cabinet.

En cabinet, vous ne serez pas en face des CAC, vous ne connaissez pas aussi bien le groupe.  Vous avez des sujets où la solution la plus efficiente pour le groupe, ce n’est pas forcément celle où vous paierez le moins d’impôts. Il ne faut pas croire que l’on est uniquement dans une logique de minoration de l’impôt. Il y a de nombreux enjeux qui sont le taux effectif d’impôt, la valorisation de des impôts différés, le risque de réputation… :  il y a de nombreux aspects qu’il n’y avait pas avant, telle que la gestion du risque opérationnel.

De plus, en banque, nous sommes en présence d’établissements régulés. Partant, ce sont des sujets de capitaux propres, de réponse aux régulateurs, de conformité, des transparences fiscales auxquels nous sommes confrontés et qui font que le métier de fiscaliste évolue.

Vous avez des facettes qui sont vraiment très différentes donc à mon avis, vous n’avez pas l’obligation systématique de faire votre cursus via le métier d’avocat pour être fiscaliste d’entreprise.

Ce n’est pas une exigence de plus pour être embauché en tant que fiscaliste d’entreprise.

Le métier de fiscaliste de banque : quelles sont les différences majeures avec le métier de fiscaliste d’entreprise ?

Il y a des aspects qui sont propres aux métiers des établissement régulés : des textes spécifiques régissent les établissements de crédit, ce que l’on ne retrouve pas chez les industriels. Il y a des sujets TVA spécifiques passionnants que l’on ne retrouve pas ailleurs : ni chez les assureurs – puisqu’ils sont purement exonérés – ni chez les industriels.

Il y a vraiment des spécificités propres à l’activité bancaire et c’est passionnant, car on capitalise sur de la prestation pure, sur du savoir-faire, sur de l’intelligence humaine ou artificielle ainsi que sur nos infrastructures informatiques. En effet, l’activité bancaire n’est pas une activité productive à proprement parler (au sens industriel) : une de nos matières premières, c’est la liquidité (ce qui explique aussi des problèmes de coût du capital). Mais à côté de cela, et ça peut surprendre, nous sommes aussi électriciens, loueurs de voitures, exploitants d’immeubles ou gestionnaires de programme de fidélité.   A travers ces activités variées, nous sommes confrontés à des problématiques fiscales diversifiées. Enfin, les évolutions technologiques nous poussent notamment à investir dans le digital, le numérique et les systèmes d’informations.

Toutes ces spécificités font la richesse du métier.

Donc vous êtes épanoui dans votre métier ?

Oui, je suis très épanoui, j’ai beaucoup de chance et j’en suis conscient. A la fois, je suis tombé dans une maison qui est magique…bien qu’on ait nos propres turpitudes évidemment. Mais la culture d’entreprise est très bonne.

Mon métier est intéressant et évolutif. Nous sommes sur un métier très transversal : du juridique, du financier, du comptable, de la structuration de projets. Nous sommes associés à de nombreux projets, ce qui me plaît beaucoup.

Avez-vous un domaine dans votre activité qui vous a particulièrement intéressé ?

La TVA bancaire ! Je suis tombé dans la TVA un peu par hasard, et j’ai beaucoup travaillé sur cet impôt. Alors que je suis Dauphinois pur et dur, je m’éclate sûrement dans l’impôt qui est le plus juridique de tous.

Du coup, quand je me suis remis à l’IS, j’ai changé mon approche de raisonnement, en revenant beaucoup aux textes, comme je le fais pour la TVA. Alors qu’au début de ma carrière, je menais plus un raisonnement financier, en m’attachant au passage du comptable au fiscal. C’est une nouvelle facette, une nouvelle approche par le texte de l’IS. Finalement, vous ne vous ennuyez jamais. 

Un souvenir qui vous a marqué durant votre année au sein du DESS 221 ?

Il y en a quelques-uns ! Nous avons été à l’initiative du séjour « ski-études » … sans vraiment faire beaucoup d’études à vrai dire.

Nous avons organisé ce séjour hors période de vacances scolaires, pour forger la cohésion de groupe. La directrice d’études de l’époque, le Professeur Collette, attachait beaucoup d’importance à la cohésion du groupe. Elle avait parfaitement raison. Elle avait certainement beaucoup d’avance sur les réseaux sociaux professionnels : elle souhaitait forger l’entente, quel que soit le futur des uns et des autres. « Il y aura des liens entre vous plus tard » nous disait-elle.

Et c’est vrai que finalement, le monde des fiscalistes est assez petit et c’est important de tisser de bons liens. Nous étions donc partis une vingtaine de la promo, et c’est un excellent souvenir. Nous avions une très bonne promo. Nous faisions quelques fêtes chez les uns les autres, ce sont de bons souvenirs aussi !

Avez-vous gardé quelques contacts au sein de la promotion ?

Oui quelques-uns, mais pas assez à mon goût, et c’est dommage. Nous n’avons pas assez maintenu le réseau des anciens. Mais j’ai quand même gardé quelques très bons contacts. Un de mes très bons copains de promo est d’ailleurs le parrain de ma fille ainée. Il est maintenant en charge de la supervision de la Russie au sein du Groupe. Il est sorti de la filière fiscale : comme quoi, tu peux aussi évoluer puisqu’il est passé par plusieurs postes au sein de la filière finance. Sinon, il y a des anciens du 221 à la Société Générale, comme la Responsable Prix de Transferts. Et puis j’ai aussi ma femme bien sûr, rencontrée grâce à la promo et qui pour sa part est devenue…avocate !

Vous étiez joueur de l’équipe de Rugby de Dauphine pendant vos années estudiantines. Pratiquez-vous toujours ce sport d’équipe ?

Je suis toujours un grand passionné de rugby, et c’est d’ailleurs aussi un des éléments qui m’a permis d’être recruté à la Société Générale. Je suis arrivé à l’entretien le lendemain d’un match, avec un cocard, et mon employeur était lui-même un passionné de rugby.

Les valeurs du rugby sont des valeurs intrinsèques de la culture d’entreprise de la Société Générale, qui est basée sur 4 piliers : l’engagement, la responsabilité, l’innovation et l’esprit d’équipe. Nous sommes ainsi sponsor du rugby depuis 1985, et ce sont des valeurs dans lesquelles je me retrouve.

Accueillez-vous souvent des stagiaires du 221 ?

Autant que faire se peut ! Je suis très attaché au 221, et d’ailleurs je privilégie mes recrutements de stagiaires au sein du 221 qui est une filière de qualité.

Qu’attendez-vous comme qualités d’un stagiaire ?

J’attends de la curiosité, de l’engagement, et de la bonne humeur : c’est la recette qui marche. Il faut savoir se poser des questions, en poser et être proactif…Et puis après, il y a toute la vie pour apprendre.

Quels sont, selon vous, les points forts du Master 221 ?

Avoir un mix entre les cours pratiques, théoriques et les intervenants (professionnels/universitaires). Lorsque j’avais fait le DESS 221, il y avait plus une partie d’enseignements classiques donnés par des enseignants universitaires et des enseignements pratiques donnés par intervenants professionnels.

J’ai aimé car mon année dans le 221 était une année riche et vivante, basée sur un format adapté pour acquérir des bases solides en fiscalité, et être opérationnel en entrant dans la vie professionnelle.

Avez-vous une bonne visibilité du Master 221 ?

Oui, le master 221 a une bonne visibilité. C’est une filière de qualité qui est reconnue dans le monde des professionnels.

Pensez-vous que le métier de fiscaliste d’entreprise offrira des débouchés prometteurs demain ?  

Le métier de fiscaliste est amené à se modifier avec les règles de transparence et de conformité, ce qui fait que le besoin de fiscaliste est loin de diminuer.

Le métier de fiscaliste a donc encore de beaux jours devant lui ?

Oui, c’était déjà le cas et ce n’est pas terminé. Il y aura toujours du travail, car l’administration fiscale sera toujours là. Par ailleurs, il y a de plus en plus de régulateurs à tous niveaux – domestiques ou européens – de risque de réputation à gérer, de problématiques de conformité : autant de sujets prometteurs pour les prochaines générations de fiscalistes.

Avez-vous un conseil à apporter aux étudiants ?

Je pense qu’il faut faire des stages diversifiés pour faire son choix. En revanche, je ne suis pas persuadé qu’il faille tenir le discours de passer par le métier d’avocat pour être fiscaliste d’entreprise. Ce sont deux métiers différents dans lesquels vous pouvez vous épanouir, sans être passé par les deux.

 

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